CONTRÔLE DES COMPTES
Comment la Sacem se goinfre...
http://www.lepoint.fr/actualites-medias/2010-04-10/controle-des-comptes-comment-la-sacem-se-goinfre/1253/0/442942
Les sociétés de perception, qui gèrent les droits des artistes et
producteurs, n'avaient pas bonne réputation. Publié ces jours-ci, le
rapport de la Commission permanente qui contrôle ces organismes ne va
pas arranger les choses. Les rapporteurs jettent une lumière crue sur
les rémunérations de leurs dirigeants. Accablant pour certains d'entre
eux ! Un rapport qui devrait horrifier les artistes dont le travail
nourrit la bête...
Les patrons ne connaissent pas la crise du disque
Une société est particulièrement dans le collimateur : la SCPP
(Société civile des producteurs phonographiques), dont le directeur
général, Marc Guez, perçoit le deuxième salaire le plus important des
dirigeants du secteur (entre 250.000 et 300.000 euros annuels, selon un
tableau, page 279). Pourquoi pas ? Sauf que la SCPP n'emploie qu'une
quarantaine de collaborateurs et ne traite qu'un peu plus de 60 millions
d'euros de droits. C'est là que le bât blesse... "Cette même
rémunération est plus de deux fois supérieure à celles de ses homologues
dans des sociétés d'une échelle voisine ou supérieure, comme l'Adami ou
la Spedidam", note le rapport. Autrement dit, le patron de la SCPP est
trop payé pour le service qu'il rend à ses sociétaires. "J'ai moins de
salariés que les autres sociétés, mais ils sont meilleurs, pourquoi en
serais-je pénalisé ?", s'insurge Marc Guez. Du reste, nous sommes l'une
des sociétés les mieux gérées. Pour justifier une telle rémunération, la
SCPP indique à la Commission que Marc Guez perçoit un salaire
équivalent aux directeurs généraux des
majors du disque
. C'est bien là le problème : comment les patrons de l'industrie du
disque peuvent-ils justifier de conserver des rémunérations très
élevées, alors même que le marché de la musique s'est effondré de 50 %
en cinq ans ? Comment peuvent-ils justifier de tels salaires, alors que
l'âge d'or est désormais plus que révolu ?
De ce point de vue, il n'est pas étonnant de retrouver en tête du
classement des gros salaires le patron de la Sacem, Bernard Miyet : un
salaire plus élevé de + 143 % par rapport à celui de Marc Guez (le
rapport ne mentionne pas les chiffres précis) et des notes de frais qui,
en 2008, s'élèvent à 29.212 euros par carte bancaire. Face aux
rapporteurs de la Commission, la Sacem a tenté de justifier cette forte
rémunération : les émoluments de Bernard Miyet seraient "rattachés à une
responsabilité internationale publique antérieure". Mais le rapport
note que cette référence "n'a pas été fournie à la Commission permanente
du contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits".
Les vacances en Guyane sur carte bancaire de la Sacem
L'examen approfondi des notes de frais des dirigeants de la Sacem
révèle des abus non sanctionnés. Ainsi, en 2007, l'un des dirigeants
(parti en 2008) avait pris ses aises avec la carte bancaire de la boîte :
des repas seuls, des vacances en Guyane (entre le 27 décembre 2006 et
le 6 janvier 2007), des frais de péage de week-end, 10.512 euros de
"cadeaux"... La Commission souligne, avec euphémisme, que certaines de
ces dépenses n'étaient sans doute pas effectuées dans l'intérêt de la
société et n'ont pourtant fait l'objet d'aucun contrôle. "Elles n'ont
pas été non plus de ce fait remboursées par l'intéressé", note, non sans
ironie, le rapport.
Les dirigeants de la Sacem en prennent pour leur grade à propos des
frais d'hôtel et de restaurant payés, pour l'essentiel, par carte
bancaire. Les dirigeants "ne respectent guère la note interne relative"
aux frais qui est pourtant assez généreuse : les cadres dirigeants
doivent s'en tenir à des hôtels 3 étoiles, les repas à l'étranger ne
doivent pas excéder 40 euros et pas plus de 70 euros par personne
lorsqu'ils invitent. La Commission permanente n'a pas pu pousser plus
loin ses investigations, car la Sacem ne dispose pas d'un suivi
analytique des dépenses payées par carte. L'opacité "étonne" les
rapporteurs...
Une rente assise sur un quasi-monopole
La situation est d'autant plus choquante que les artistes n'ont
guère le choix. La loi les oblige à verser. Si bien que les sociétés de
perception vivent sur une rente, "un quasi-monopole de fait sur le
territoire national", note le rapport. Avec l'onctuosité qui sied au
langage de la haute fonction publique, le rapport relève que "les
rémunérations semblent, au moins pour quelques cas individuels,
s'écarter notablement des normes de rémunération en vigueur dans les
entreprises de taille comparable alors même que celles-ci sont, elles,
pleinement exposées à la concurrence".
Le rapport observe également de grandes disparités entre les
salaires des dirigeants et les salariés de ces sociétés. Par exemple, à
la Sacem, les six salariés les mieux payés ont vu leurs revenus croître
de 10 % entre 2005 et 2008 quand le personnel s'est contenté de + 6,5 %
en moyenne sur la période. La Sacem n'a pas justifié cette différence de
traitement. Le rapport entre le salaire de Bernard Miyet et le salaire
le plus bas de la Sacem est de "30 à 40", note encore le rapport. Pour
une société qui emploie 1.450 salariés...
Moyenne des cinq principaux salaires annuels en euros / effectif
salarié
/
montants des sommes perçues
SACEM : 363.908 euros / 1448 / 961,3 millions d'euros
SACD : 149.775 euros / 232 / 179,6 millions d'euros
SCAM : 142.521 euros / 81 / 74,1 millions d'euros
SPP : 135.465 / 39 / 61,1 millions d'euros
CFC : 110.200 euros / 44 / 43,7 millions d'euros
ADAMI : 107.300 euros / 74 / 53 millions d'euros
SPEDIDAM : 96.020 euros / 32 / 32,9 millions d'euros
PROCIREP : 84.273 euros / 18 / 31,6 millions d'euros
La Commission permanente de contrôle des sociétés de perception
et de répartition des droits est présidée par Bernard Menasseyre,
président de chambre honoraire à la Cour des comptes. Elle comprend pour
membres : François Lavondès, conseiller d'État honoraire ; Marie-Claude
Duvernier, conseillère honoraire à la Cour de cassation ; Claude
Rubinowicz, inspecteur général des finances ; Lé Nhat Binh, inspecteur
général des affaires culturelles.